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Archives de Tag: Mondolkiri

Anatomie d’une domination

23 vendredi Mar 2012

Posted by Jean-Michel Filippi in Français, Minorités ethniques

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Adhémard Leclère, assassinat de Henri Maître, Bourdier, capitaine Cupet, esclavage au Cambodge, essartage, ethnies minoritaires du Cambodge, hauts plateaux du Cambodge, Jean-Michel Filippi, les jungles moï, Matras – Troubetskoy, Matthieu Guérin, minorités ethniques du Cambodge, mission civilisatrice de la France, mission Pavie, Mnong Biat, Mondolkiri, Phnong, Sambor

Paysans de la forêt à l’époque coloniale.

La pacification des aborigènes des hautes terres du Cambodge ( 1863 – 1940)         Par Matthieu Guérin (2008)

L’ouvrage est une édition allégée de la thèse de doctorat de l’auteur qui se propose d’étudier le processus de pacification des populations du Nord Est du Cambodge ; « pacification » est ici entendu au sens large car, en sus des opérations militaires traditionnelles, il s’agit d’étudier « la mise en place d’un contrôle administratif moderne sur des populations jusqu’ici indépendantes ou, au moins, largement autonomes et ne disposant pas de structures politiques de type étatique… ». Les deux parties du livre rendent compte de l’approche duale de l’auteur; une première échelle, centrée sur un groupe de villages Mnong Biat, Bu La – Bu Gler sur l’actuel plateau du Mondulkiri, permet d’analyser « le contact entre paysans de la forêt et l’extérieur selon le point de vue des habitants » alors que la seconde échelle, le Nord – Est du Cambodge, permet de construire une stratégie interprétative en faisant intervenir l’action des délégués du pouvoir central, tant français que cambodgiens.

Les premières tentatives de soumission

Après l’instauration du protectorat français (1863), le problème du statut des territoires du Nord – Est va se poser. On peut distinguer deux cas de figure : d’une part des communautés préalablement soumises à l’administration cambodgienne et qui lui versent tribut et, d’autre part, des villages quasiment indépendants avec lesquels l’administration française trouve plus expédient de traiter directement ; résident de Sambor en 1891, Adhémard Leclère  résume ainsi la situation : « Les Peunongs de Poulo Pouklia ne payent aucun impôt au roi du Cambodge, n’acquittent aucune redevance, ne rendent aucun hommage et ne reconnaissent point l’autorité des mandarins cambodgiens. J’ajouterai que ces derniers les reconnaissent pour indépendants et ne leur donnent aucun ordre. » Dans une première période, à partir de 1891, la mission Pavie et notamment le capitaine Cupet obtient aisément des soumissions plus rhétoriques que réelles à la France en tranchant en faveur des Phnong dans des conflits qui les opposent à l’administration cambodgienne. En l’espace de deux décennies, les Phnongs vont voir leur liberté progressivement grignotée avec une augmentation de la population khmère dans la région, un système de taxation abusif et une interprétation très différente des termes de la soumission àla France ; en gros, les Phnong considèrent initialement cette soumission comme la garantie du maintien de leur mode de vie alors que  pour les Français, il s’agit du premier pas d’une implantation durable dans la région. L’auteur nous trace un portrait remarquable d’un des personnages clé de cette implantation : Henri Maître ; auteur du Chef d’œuvre « Les jungles Moï » qui reste aujourd’hui encore un texte de référence, Maître est un fin connaisseur des langues et des cultures de la région : « Henri Maître se veut le modèle du bon administrateur. Il refuse que son escorte maltraite les autochtones… toutefois, le Français se considère comme chez lui. Sa mission de reconnaissance et de soumission des villages pour la gloire de l’Indochine française lui apparaît légitime… Lorsqu’il obtient ce qu’il veut par la négociation, il n’y a pas de problèmes, mais si celle-ci échoue, il n’hésite pas à utiliser la manière forte.»

La révolte

Tout commence en 1912 alors que des miliciens viennent réquisitionner des éléphants dans le village de Bu Rlam dont Pa Trang Loeung est le chef (Koragn). Le viol de la belle fille du Koragn Pa Trang Loeung entraîne l’exécution des miliciens. La révolte va très vite s’étendre ; la personnalité est les actions du Koragn Pa Trang Loeung sont excellemment analysées par l’auteur ; joignant au dépouillement des archives des témoignages contemporains, il montre comment le mythe de ce chef charismatique est né, a perduré et a été le fondement d’une unité indispensable au soulèvement. En août 1914, l’assassinat de Henri Maître dans le village de Mera, suivi du massacre du poste de Mera consacre une rupture définitive avec la royauté khmère et avec la France ; désormais, « la pénétration franco-cambodgienne est arrêtée, les représentants de l’administration française ou cambodgienne présents dans les collines ont été éliminés ».

 Ce n’est  que dans les années Trente que les autorités coloniales retourneront dans les hautes terres. Les populations locales verront alors la construction de routes et de postes comme une atteinte à leur indépendance et tenteront de réactiver les alliances entre les villages. Entre 1931 et 1935, les attaques des Phnong reprennent mais se heurtent cette fois à une administration déterminée à exercer une répression efficace : bombardement de villages et destruction de réserves de nourriture provoquent des redditions en chaîne ; la date à la fois symbolique et réelle de la fin de l’insurrection est la mort de Pa Trang Loeung « Koragn aux pouvoirs magiques » tombé sous les coups des Français le 22 mai 1935.

Pacification et mission civilisatrice

M. Guérin, en décrivant de façon très détaillée les instruments de pacification ainsi que leur évolution, ne se limite pas au seul point de vue exogène que permet le dépouillement des archives, mais a également réalisé entre 1999 et 2001 une série d’entretiens auprès d’informateurs phnong. Une entreprise de pacification suppose un renforcement des structures administratives locales, de l’économie, de l’éducation et de la santé mais repose en définitive sur la façon dont l’action colonisatrice va percevoir le colonisé. Un passage passionnant de l’ouvrage intitulé « civiliser les sauvages » examine les représentations des habitants des hautes terres. Le corollaire de la mission civilisatrice est bien entendu la conviction que la sauvagerie lui préexiste : « l’insistance des Français à présenter les habitants des hautes terres comme des sauvages s’explique parfaitement dans le cadre d’une action coloniale justifiée par une mission civilisatrice ». Cette mission sera dès le 19ème siècle celle de l’église catholique, cependant l’hostilité de la IIIe république au cléricalisme en fera une des préoccupations de la république. L’auteur analyse minutieusement les écrits divers qui légitiment « la mission civilisatrice » et montre, à travers des entretiens que « les habitants des hautes terres eux-mêmes ont pu devenir sensibles à cette rhétorique ». Rare ombre au tableau, Adhémard Leclère qui écrit en 1898 : « je me demande, si, quand nous aurons civilisé tout ce pays, occidentalisé ces calmes et douces populations, vêtus ces hommes nus, nous leur aurons apporté le bonheur… ». A titre d’exemple, nous sélectionnerons dans ce travail très riche deux aspects de « la mission civilisatrice ». En premier lieu, s’est posée la question de l’esclavage qui n’a été définitivement aboli par la France qu’en 1848. En Indochine, les Français vont se présenter comme les champions de la lutte abolitionniste et ce sera un des motifs de conflit avec l’administration du roi Norodom. L’esclavage au Cambodge, comme l’auteur le démontre, est un phénomène complexe et son abolition pose, entre autre, le problème de l’indemnisation des maîtres : « les Français parviennent ainsi à justifier leur impérialisme et l’installation de leur domination par la volonté, souvent authentique, de sauver les populations. Ils tendent alors à instrumentaliser l’esclavage pour promouvoir leur action au titre de la mission civilisatrice, ce qui les amène à appliquer le qualificatif « d’esclaves » à un maximum de personnes… Il [l’esclavage] persiste en grande partie parce qu’il est totalement intégré au droit coutumier des populations ».

Un deuxième point concerne la pratique de la culture sur brûlis (essartage) que pratiquent les populations du Nord – Est depuis la nuit des temps. Les arguments de l’époque ressemblent étrangement à ceux que l’on nous ressert aujourd’hui : « la plupart des Français reprochent à l’essartage de détruire la forêt, d’être responsable du nomadisme des aborigènes et enfin de fournir des récoltes insuffisantes pour nourrir les essarteurs ». L’auteur s’inscrit en faux contre ces affirmations en démontrant, chiffres à l’appui, que « les rendements des essarts peuvent être supérieurs à ceux des rizières irriguées » et que « les essarts n’attaquent qu’exceptionnellement la forêt épaisse ». Cette façon de considérer l’essartage n’est pas nouvelle, mais les travaux de l’auteur, qui rejoignent sur ce point ceux de Matras – Troubetskoy, Bourdier et Fox, ont le mérite d’intégrer la défense et l’illustration de cette pratique agricole dans une optique véritablement historique.

Les minorités ethniques ont fini par devenir à la mode une fois leur mort inéluctable annoncée. L’ouvrage de M. Guérin se veut historique et n’est pas, au moins en apparence, un plaidoyer  en faveur des ethnies minoritaires et de leur mode de vie ; cependant, il ressort de la lecture du texte le sentiment du gâchis irrémédiable d’une pluralité sociale et culturelle que notre discours moderne prétend pourtant porter aux nues.

Jean-Michel Filippi

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L’hindouisation du Cambodge et ses avatars (1/2)

01 mercredi Fév 2012

Posted by Jean-Michel Filippi in Français, Inde et Cambodge

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Le récent renouveau des études indiennes au Cambodge nous amène à nous interroger sur la logique des relations culturelles entre l’Inde et l’Asie du sud est, en premier lieu le Cambodge.

En décembre 2001, à la réunion annuelle de la prestigieuse association des historiens indiens, Karan Singh a appelé ses membres à porter plus d’attention à ce « grand fleurissement culturel qui a trouvé son origine en Inde et qui a atteint toute l’Asie du sud et du sud est ». Singh a profité de l’occasion pour se lamenter sur le fait que « nos historiens négligent notre propre expansion culturelle » et a tiré profit de la tribune offerte pour les exhorter à « nous relier à la grande Inde a travers des données culturelles qui ont voyagé bien au delà de nos rivages ».

Cette vision, sur laquelle nous reviendrons, porte le nom de panasiatisme et a été le pêché mignon de beaucoup d’intellectuels indiens d’avant l’indépendance de l’Inde.

L’Inde extérieure

Prendre la mesure de cette vision pan asiatique suppose un examen préalable de l’apport de l’Inde.

Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, on assiste à un de ces très grands mouvements d’hommes, de techniques et, bien sûr, d’idées que l’histoire ultérieure conceptualisera sous l’étiquette d’ « hindouisation ». Les causes d’un mouvement de cette ampleur sont évidemment multiples et ne sont pas aisément réductibles à l’unité. Georges Coedès avait quand même mis en valeur la nécessité vitale de l’Inde de s’approvisionner en or, tâche délicate depuis l’édit d’Antonin le Pieux (86 – 161) qui interdisait l’exportation d’or à partir de Rome.

Comme pour beaucoup d’aventures dont on ne retiendra ultérieurement que les dimensions artistiques et intellectuelles, ici tout commence donc par une entreprise commerciale.

L’Inde extérieure naît avec l’émergence des premiers royaumes hindouisés tels que le Funan (1er – 7ème siècle) et le Chenla (7ème – 9ème) sur l’histoire desquels nous sommes essentiellement renseignés par des sources chinoises rédigées à des dates bien ultérieures.

Dès la fin du 6ème siècle, les résultats de l’hindouisation sont pourtant bien là ; conception centralisée de l’état, mise en place de systèmes d’écriture, nouvelles formes religieuses et artistiques témoignent et de l’apport indien et de la capacité du terroir local à l’absorber.

La matérialité de l’hindouisation

Ce qui va radicalement changer la face de l’Asie du Sud Est hindouisée, c’est d’abord une nouvelle conception de l’état. A des chefferies dont l’autorité ne dépassait pas le cadre du village vont se substituer des entités étatiques beaucoup plus puissantes. Georges Coedès avait eu cette formule frappante : « Le Khmer est un Phnong hindouisé ». Le terme « Phnong » a un sens premier et désigne l’ethnie qui peuple majoritairement la province de Mondulkiri ; un deuxième sens a fait de « Phnong » un équivalent, peu politiquement correct, du vietnamien « Moi » ; ce qui en gros pourrait se gloser comme remplissant les critères locaux de « sauvagerie ». Ces critères de « sauvagerie » sont grossièrement les suivants : absence d’autorité politique au delà du village, pratique de l’essartage, culte des jarres, pratiques religieuses animistes que l’on peut encore observer (pour combien de temps encore ?) dans les provinces de Mondulkiri et de Rattanakiri.

L’hindouisation, à travers les matérialités qui la fondent, va permettre dans le millénaire et demi qui va suivre d’opposer deux modes de civilisation : le monde de la rizière irriguée à celui de la forêt.

Ici, comme ailleurs, une nouvelle vision de l’état va se doubler de nouvelles formes religieuses et de l’écriture.

Un alphabet utilisé dans le Sud  Est de l’Inde et utilisé, parmi d’autres, pour écrire le Sanscrit est à l’origine des systèmes d’écriture de l’Asie du Sud Est .

Tout passe d’abord par le Sanscrit et la plus ancienne inscription dans cette langue remonte au 2ème siècle ; il s’agit de la stèle de Vo Canh découverte près de l’actuelle Nha Trang. Très vite ce système d’écriture va être adapté à trois langues de la péninsule : le Mon parlé à l’époque dans l’Est de la Birmanie et jusque sur le territoire de la Thaïlande centrale actuelle, Le Cham du royaume du Champa qui couvrait l’actuel territoire de l’Annam et une bonne partie de la Cochinchine côtière et le Khmer.

La première inscription en langue khmère est la stèle de Angkor Borei qui fut peut-être une des capitales du Funan ; connue également sous l’appellation de K 600, ce texte vénérable peut être exactement daté à l’année 611.

L’espace khmer se caractérise par une dualité épigraphique : inscriptions en langue sanscrite qui doublent les inscriptions en vieux Khmer sans s’y substituer. Les enjeux  sont évidemment autres car le Sanscrit, langue de l’hindouisme, sert de véhicule à des textes d’ordre littéraire, philosophique et historique, donc d’un niveau d’abstraction élevé et, souvent, sans lien réel avec le territoire où ils ont été gravés ; ainsi en exagérant à peine on peut dire que des thèmes similaires se retrouveront dans les stèles sanscrites de Java, du Champa ou du pays khmer. Il en va tout autrement des stèles gravées en vieux Khmer qui sont indexés sur des réalités proprement cambodgiennes et beaucoup moins théoriques : constructions de temples, fondations religieuses, donations…Il s’agit de textes relatant des évènements ponctuels et qui présentent un intérêt majeur pour la reconstruction de l’histoire du Cambodge.

Dans les siècles qui vont suivre, la production écrite khmère va se distinguer de celle des Chams et des Môns par sa continuité ; qu’on songe simplement que l’on peut suivre sur les stèles l’évolution de la langue et de l’écriture khmère du 7ème au 15ème siècle sans interruption, ce qui fait de l’espace cambodgien et de sa culture une clé indispensable à la lecture du passé de la péninsule.

La dimension religieuse va également jouer un rôle fondamental ; les formes religieuses animistes qui prédominaient en Asie du Sud Est vont progressivement être supplantées par les religions indiennes : hindouisme et bouddhisme. Là encore, les choses sont éminemment complexes car l’hindouisme s’exporte difficilement hormis dans quelques sphères élevées du pouvoir ; la meilleure preuve en est que de toute l’expansion indienne qui trouve sa limite orientale à Irian Jaya et septentrionale aux Philippines, il ne reste que deux poches assez dégénérées d’hindouisme : L’île de Bali et une poignée de Chams dans le Vietnam central.

Quant au bouddhisme, il offre l’exemple unique d’une religion à la fois très vite rejetée par le monde qui l’a générée, le bouddhisme n’existe plus guère en Inde, mais qui sera scrupuleusement associé à l’expansion indienne en Asie du Sud Est. Là encore, on peut constater cette nature remarquablement polymorphe de l’hindouisation : l’hindouisme pour les couches supérieures de la société ou comme support spirituel du pouvoir et le bouddhisme pour les autres.

Les mystères irrésolus de l’hindouisation

Les choses ne sont pas pour autant limpides et de nombreuses questions risquent fort et pour longtemps de rester sans réponses tangibles. Un exemple parmi d’autres atteste de la pénétration de la civilisation indienne : le nombre de vocables sanscrits dans la langue khmère. Là encore, contrairement à une des erreurs errantes sur le Cambodge, le Khmer ne provient pas du Sanscrit et l’écart structurel entre les deux langues correspond à peu près à celui qui existe entre le Français et l’Arabe. Le Sanscrit est souvent qualifié de langue sacrée de l’Inde et a, à ce titre, constitué le véhicule de la pensée hindouiste ; à partir des premiers siècles de l’ère chrétienne, le Sanscrit deviendra également la langue du bouddhisme grand véhicule, se substituant ainsi au Pâli qui restera la langue du petit véhicule.

Il est tout à fait compréhensible qu’un registre, disons intellectuel ou analytique, du vocabulaire du Khmer provienne du Sanscrit et c’est d’ailleurs largement le cas. Ce qui par contre pose problème est le nombre très considérable des termes khmers d’origine sanscrite et liés à l’expression d’une vie des plus quotidiennes. Ce n’est pas avec des textes écrits qu’une langue va influencer une autre langue ; ce sont des contacts entre populations, étendus dans le temps et dans l’espace, qui vont permettre à des vocables de pénétrer durablement dans une langue. Donc la question se pose de savoir quand, ou, comment et dans quelle direction on eu lieu ces contacts de populations. Il n’existe à l’heure actuelle aucune réponse tangible quel que soit l’angle sous lequel on envisage cette question ; par exemple, d’un point de vue quantitatif, on ne dispose d’aucun moyen d’évaluer les populations concernées. Plus étonnant, sur la question du lieu de l’échange, l’histoire reste étonnamment muette ; pour beaucoup d’historiens, il s’agirait de populations venues de l’Inde et qui se seraient installées dans le pays khmer, alors que pour d’autres, essentiellement Michael Vickery, il s’agirait d’un vaste transfert de populations originaires du Cambodge parties en Inde recevoir des formations ; dans quels domaines ? Pour quelles durées ? Nous n’en saurons pas plus. Il est quand même troublant que demeurent sans réponse les questions à la base d’un mouvement qui va bouleverser durablement l’histoire de la région.

L’éternité de l’art

En fait, la partie la plus visible de l’hindouisation de l’espace cambodgien consiste dans une production artistique qui débute à la fin du Funan (style de Phnom Da fin 6ème siècle) et qui se poursuit au delà du 15ème avec un art bouddhique d’une grande originalité. Cet art, d’essence religieuse, trouve effectivement ses modèles dans la pensée architecturale indienne qui est fondamentalement imprégnée d’hindouisme et les thèmes de la statuaire sont également fondamentalement hindous. Alors, les vestiges archéologiques, les temples du Cambodge et la statuaire khmère ne seraient-ils qu’une transplantation du génie indien dans l’espace khmer ? Entre le modèle théorique de base à partir duquel l’oeuvre sera générée et l’exécution proprement dite, il y a un monde qui ne peut être comblé par aucune théorie digne de ce nom. Un exemple très parlant : le temple d’Angkor Vat ; même s’il n’a pas été construit en Inde, il s’agit du plus grand temple hindou du monde. Le modèle de base qui a présidé à sa conception relève évidemment de l’iconologie indienne, les  épopées représentées, Mahabharata et Ramayana, sont des classiques de la littérature indienne, donc ? Il faut se garder de tirer des conclusions hâtives ; d’abord Angkor vat a été construit au Cambodge et non pas en Inde, ensuite, et ce sera l’essentiel, il n’a pas son équivalent en Inde. Cela est d’ailleurs vrai de la plupart des temples Cambodgiens : un modèle de base hindouiste réalisé dans les conditions locales ; c’est ce qui donne à l’art khmer préangkorien et angkorien ainsi qu’à l’art Cham de la même époque toute leur originalité.

Le plus grand temple hindou du monde: Angkor Vat

Quand à la statuaire, la question est des plus controversées. L’origine immédiate est indienne, mais il n’y a aucun véritable équivalent indien de la statuaire préangkorienne et, encore moins, angkorienne: il y a un monde entre le programme iconographique indien et le ciseau du sculpteur khmer. De ce point de vue, le Cambodge préangkorien a innové ou bénéficié d’une autre influence ; par exemple celle de la statuaire bouddhique des royaumes alexandrins comme le pensent de plus en plus de spécialistes.

Retour à la réunion

Il existe bel et bien une Asie hindouisée, cependant cela n’entraine pas un positionnement univoque de l’Inde vis à vis de sa progéniture. Bien entendu, on pourra mentionner les travaux indiens de restauration des tours d’Angkor Vat dans les années  80, époque à laquelle aucun pays occidental n’aurait pu enfreindre la règle de l’embargo qui frappait le Cambodge. Ceci dit, il a loin à définir une position de l’Inde vis à vis de l’Asie du Sud Est en général et du Cambodge en particulier. Une première période du début du 20ème siècle jusqu’à l’indépendance de l’Inde voit l’émergence d’un panasiatisme indien. Là encore, il faut être prudent et se méfier des mots car il y a loin d’un nationalisme romantique indien qui se cherche sa famille dans la région à la sphère de co-prospérité orientale des Japonais.

Après l’indépendance, la donne est changée ; il n’est plus question d’aborder l’Inde extérieure ou d’évoquer un quelconque panasiatisme indien et on se contentera désormais de parler d’études Sud Est asiatiques. Il ne s’agit pas d’une simple modification terminologique, mais d’un changement radical de programme. Alors au fond, en ce mois de décembre 2001, que signifient les propos de Karan Singh ? D’abord, ces  propos font échos à des conflits périodiques entre hindous nationalistes et modernistes au sein de la communauté des historiens indiens. Dans ce cadre conflictuel, le traitement de l’Inde extérieure n’est  qu’un argumentaire à stricte consommation intérieure.

Une autre interprétation est possible qui explique la relative pauvreté actuelle des études indiennes sur l’Inde extérieure. Le problème, pour Karan Singh entre autres, consiste dans ce que ce type d’études exclue plutôt qu’il n’inclue. Quand on a fait la liste des propositions d’empêchement dont les éternelles restrictions budgétaires, on a vite fait de se rendre compte qu’une des plus sérieuses difficultés est la capacité de ce type d’études régionales à générer un savoir digne de ce nom. Nationalisme et  panasiatisme ont peut-être mauvaise presse, il n’empêche qu’ils ont joué un rôle d’incitateurs puissants pour des recherches historiques passionnantes qui incluaient le passé de l’Inde, l’expansion indienne, les questions essentielles de l’art et de la culture, alors que, comme le note le professeur Sanjib Baruah « après l’indépendance, les études Sud Est asiatiques, essentiellement centrées sur des questions de politique étrangère, n’ont pas attiré le même type d’énergie et d’intérêt ».

 Jean-Michel Filippi

A suivre

Minorités ethniques: le développement en question

21 samedi Jan 2012

Posted by Jean-Michel Filippi in Français, Minorités ethniques, Uncategorized

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développement, développement durable, Frédérique Bourdier, hauts plateaux du Cambodge, Jean-Michel Filippi, Kreung, Matthieu Guérin, minorités ethniques du Cambodge, Mondolkiri, Mondulkiri, ONG, Phnong, Rattanakiri, Tampuan

A propos de “Development and dominion. Indigenous people of Cambodia, Vietnam and Laos”, sous la direction de Frédérique Bourdier, 2009.

Il a beaucoup été question ces dernières années des minorités ethniques de l’ex Indochine française en général et des hauts plateaux du Cambodge en particulier. En témoignent l’ouvrage paru en 2003 sous la direction de M. Guérin et A. Hardy « Des montagnards aux minorités ethniques », la thèse de M. Guérin sur le Mondulkiri « Paysans de la forêt à l’époque coloniale » en 2008 et le livre de F. Bourdier « Rattanakiri, the mountain of precious stones » dont la version française est parue en 2009.

Ce dernier ouvrage rassemble les contributions de 16 auteurs sur les problématiques engendrées par la notion de développement et les actions qu’elle a entraînées chez les minorités ethniques du Cambodge, Laos et Vietnam.

Les avatars du développement

La charpente théorique sur laquelle repose l’ouvrage est exprimée dans le chapitre introductif écrit par F. Bourdier : «Problèmes liés au développement et sociétés indigènes : perspectives conceptuelles et méthodologiques récentes ».

Le terme même de développement et les actions qu’il engendre sur le terrain semblent aller de soi et une remise en cause n’en viendrait que difficilement à l’idée. L’action des acteurs du développement, à savoir organisations internationales et diverses ONG, est généralement valuée de la façon la plus positive comme une amélioration générale du cadre de vie dans des domaines tels que la santé, l’hygiène, l’éducation, etc. En fait, le terme de « développement » semble subsumer tout le cheminement vers le progrès que le monde moderne propose d’offrir à ceux qui n’en ont, jusque là,  pas bénéficié.

Une remise en cause de cette notion ne va donc pas de soi, mais c’est pourtant ce que n’hésite pas à faire l’auteur qui exprime et démontre une thèse bien peu orthodoxe : « La plupart des acteurs du développement, quelles que soient leurs différences idéologiques et professionnelles, partent du principe qu’il serait erroné de laisser ces gens exercer un contrôle sur leur existences : ils ont besoin d’aide, de soutien et d’orientation ».

Par « ces gens », il faut entendre en général les bénéficiaires des actions de développement et, en particulier, les minorités ethniques de la province de Rattanakiri que l’auteur connaît bien ; c’est d’ailleurs de façon très empirique, à partir d’une prise en considération de la situation du Rattanakiri, que l’auteur propose d’analyser le développement.

L’auteur concède volontiers que le développement, dans ses aspects définitoires, n’est pas monolithique et que « les pratiques actuellement en oeuvre sont peut-être plus discrètes que les programmes antérieurs à large échelle menés de façon autoritaire à la fois par les dirigeants nationaux et les agences internationales ».

Changement et continuité

La notion de développement est tributaire de l’air du temps et « l’approche classique du haut vers le bas qui a dominé dans les années 70 a progressivement cédé la place à des initiatives partant de la base où les populations locales ont été encouragées à jouer un rôle clé pour améliorer leur niveau de vie ».

L’auteur se propose d’analyser les modalités de cette « démocratisation » du développement à travers ses thèmes emblématiques : la durabilité (sustainability), l’autonomie (Self – Governance), la responsabilisation (empowerment) et la participation. Il n’échappera à personne que la traduction française de ces nouveaux poncifs du politiquement correct passe mal.

La durabilité fait partie de ces notions qui semblent autant aller de soi qu’elles sont mal définies et l’auteur propose provisoirement d’y voir « une forme de développement qui permette aux générations présentes de satisfaire leur besoins sans compromettre la possibilité des générations futures d’en faire autant ». Nous voilà rassurés mais pour peu de temps car l’auteur émet presque simultanément un doute sur l’objet de la durabilité : « Qu’est-ce qui doit être amené à durer, la population ou le projet ? ».

Un exemple pris dans le quotidien des interactions minorités – développement permettra d’y voir clair. Pour remédier aux carences en matière de santé dans la province de Rattanakiri, il a été décidé d’enseigner à la population locale les principes de l’hygiène de base qui étaient censés faire défaut. L’ennui est que « le savoir et les traditions [des villageois] ont été complètement déstabilisés par ce processus. La plupart de leur croyances culturelles ont été considérées comme de vulgaires superstitions par les praticiens du développement ».

L’exemple est emblématique de l’intrusion sans concession d’un corps étranger et sans prise en considération du contexte culturel préexistant ; l’ouvrage fourmille évidemment d’exemples de ce type. Or, il se trouve que c’est précisément ce contexte culturel qui est le garant de la durabilité et l’auteur est parfaitement explicite : « Tant les Tampuan que les Kreung voulaient continuer à accomplir des sacrifices et à pratiquer les cérémonies religieuses pour apaiser les esprits de la forêt en qui ils voyaient la cause des maladies ».

Cela ne signifie en aucun cas l’exclusion a priori des catégories scientifiques occidentales mais que « la bonne santé ne peut pas uniquement dépendre du seul modèle occidental ».

Dans le bréviaire du développement politiquement correct, l’autonomie (Self – Governance) occupe une place de choix car il s’agit théoriquement de « minimiser contrôle et interférences externes ». L’auteur n’a aucune difficulté à montrer que si le thème occupe une position dominante dans les projets, il en va bien autrement dans la réalité. S’agissant de l’exercice du pouvoir, « le village était l’entité politique et sociale la plus importante au sein des communautés indigènes » et cette situation « continue d’exister dans des villages isolés du Laos et du Cambodge ». L’auteur a beau jeu de démontrer non seulement l’absence de contreparties substantielles à la notion d’autonomie mais aussi la substitution d’un mot à une autonomie villageoise, elle, bien réelle qu’on s’est acharné à liquider : « Comment des professionnels du développement peuvent-ils continuer à promouvoir l’idée d’autonomie… quand ils se sont rendus complices des tentatives de l’état et des agences bilatérales d’amoindrir la force et l’autonomie préexistantes du village comme entité cohérente ? ».

Cette déconstruction de la notion de développement que propose l’ouvrage est pleine de vie car à une approche théorique exigeante se mêlent les expériences vécues de chercheurs qui connaissent leurs terrains.

Le texte n’est d’ailleurs pas dépourvu d’humour et d’ironie comme le montre l’anecdote suivante : « Alors qu’il travaillait pour une ONG dans le Rattanakiri au début des années 90, un anthropologue s’est souvenu de la réponse des villageois quand il leur a demandé ce qu’ils voulaient pour améliorer leur santé. Les villageois ont répondu sans hésitation : davantage de buffles à offrir aux esprits ».

 Jean-Michel Filippi

A propos de l’auteur

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